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Rema embrase la scène parisienne : l’Afrorave n’a jamais été aussi réelle.

Samedi soir, Rema a littéralement mis le feu.
Sur scène, le prodige nigérian a confirmé ce que beaucoup avaient pressenti avec HEIS un album, qui a eu l’effet d’une onde de choc et qui a secoué le paysage de l’Afrobeats. Le concert, explosif d’énergie, d’esthétique et de puissance, l’a prouvé. Rema a enflammé la scène, et nous a donné un concert historique pour les musiques africaines. L’ambiance était électrique, l’adhésion totale.

Il a conquis, non par concession, mais par affirmation, que le Big Three a résolument un quatrième pilier au sommet. 

 « When I talk ‘another banger’ you better believe am » HEIS, Rema (2024)

Samedi soir, Rema a littéralement mis le feu.
A Bercy, le prodige nigérian a confirmé ce que beaucoup avaient pressenti avec HEIS un album, qui a eu l’effet d’une onde de choc et qui a secoué le paysage de l’Afrobeats. Le concert, explosif d’énergie, d’esthétique et de puissance, l’a prouvé. Rema a enflammé la scène, et nous a donné un concert historique pour les musiques africaines. L’ambiance était électrique, l’adhésion totale. Il a conquis, non par concession, mais par affirmation, que le Big Three a résolument un quatrième pilier au sommet.

HEIS, un tournant pour l’Afrobeats.

Depuis le début des années 2020, Rema est le visage de plusieurs ères musicales à succès. D’abord, celle d’une fusion audacieuse entre Afrobeats et Trap. Puis celle d’un Rema plus sensuel, provocateur, cru, tel qu’on le découvre sur Rave & Roses. Avec “Calm Down”, il séduit un public plus pop, et finit par imposer son empreinte à l’échelle mondiale. Fin 2023, il clôt l’année avec l’EP Ravage, qui s’affirme aujourd’hui comme le prélude à l’énergie brûlante de HEIS. Des titres comme “Trouble Maker”, “DND” ou “Smooth Criminal” annonçaient déjà un changement de perspective. HEIS en est l’aboutissement. L’album trace les contours d’un univers plus sombre, plus froid, où apparaît une énergie incandescente, frénétique, radicale.

L’album est traversé par un fil rouge : les fiers ! Son succès, son talent, sa fortune. Dans HEIS, il brandit l’assurance de son succès : « When I talk ‘another banger’ you better believe am », ou encore dans “Hehehe” : « Monday morning talking about me while I’m making money ». HEIS est l'album des pétages, de l'hédonisme, de fêtes bruyantes et fiévreuses. Mais cette explosion ne masque pas les tensions profondes. C’est aussi un espace d’échappatoire, une soupape de décompression face aux contradictions et aux tragédies politiques du Nigéria. HEIS oscille entre dénonciation et extase, entre le chaos social et la jouissance libératrice. 

Les producteurs P.Priime et London, quelques-uns des artisans du disque, jouent un rôle essentiel dans cette nouvelle direction sonore et en font une démonstration de force, en traduisant très justement la frénésie de l’artiste.

Le socle sonore du projet brille par son audace rythmique. Le morceau d’ouverture, March Am, fusionne percussions heavy metal et trap dans un chaos maîtrisé. Yayo, porté par des sonorités Amapiano, hypnotise, tout comme Benin Boys, accompagnée de Shallipopi, qui affirme une identité locale revendiquée. Azaman insuffle une énergie nouvelle grâce à une rythmique atilogwu et une boucle de batterie finement construite. Quant à Ozeba, sa puissance brute en fait un hymne tout désigné : monstrueux, bestial, furieux.

L'œuvre dépasse le cadre du simple projet musical, et se reçoit comme le manifeste d’une nouvelle ère. Une prise de position artistique et politique dans un contexte où l'Afrobeats a été contraint de se plier aux attentes d’un marché international calibré. C’est là où on pourrait se dire que le pari aurait pu être risqué, d'avoir l’audace de faire un tel album. Mais non! C’est un coup d’éclat. Rema choisit l’insoumission : il puise dans la richesse de son héritage pour construire une œuvre sans filtre ni compromis. Il refuse l’idée que l’internationalisation du genre exige un lissage commercial. Son parcours est la preuve que le monde n’a pas besoin d’une Afrobeats aseptisée, mais peut rayonner en étant réel et fier.

Son héritage, moteur de réinvention et fierté revendiquée

Le public a été ravi de voir Rema renouer avec ce son traditionnel, tout en y apportant sa propre touche.  Dans HEIS, il refuse de lisser ses sons, de neutraliser ses références. Sa vision est claire, intense et enracinée.

Mais Rema sait que la musique seule ne suffit pas : l’image est tout aussi essentielle. Depuis ses débuts où il apparaissait avec des nounours, jusqu’à aujourd’hui où il arbore un look de rockstar désinvolte, cigarette à la main, il soigne sa mise en scène avec rigueur.

Lors de son concert Ravage Uprising à l’O2 Arena de Londres, il a intégré plusieurs éléments issus de la culture Edo dans sa scénographie. Le masque rouge qu’il porte est une réplique de celui de la Reine Idia, figure emblématique du royaume de Bénin. Le cheval immobile, quant à lui, fait écho à une célèbre sculpture en bronze représentant un guerrier royal prêt pour le combat. Sur “BENIN BOYS, en collaboration avec Shallipopi, Rema rend hommage à sa ville natale, Benin City. On y retrouve également l’imagerie des chauves-souris, omniprésentes dans les arbres du palais de l’Oba de Benin, qui ornent aussi la pochette de HEIS et apparaissent régulièrement dans ses performances et ses visuels. Rema insiste d’ailleurs sur l’importance des références culturelles nigérianes dans son travail, en glissant des clins d’œil à des éléments populaires comme le film d’horreur “Ozeba” ou l’expression “Azaman”, bien connue dans le lexique local.

Musicalement, HEIS multiplie les audaces. Sur WAR MACHINE avec ODUMODUBLACK, il sample le groupe soul Ace Spectrum pour un monologue furieux contre ses détracteurs. Sur VILLAIN, il s’approprie avec fierté le rôle du méchant. EGUNGUN, lui, s’inspire de la vague afrobeats des années 2012-2015 : Rema s’y compare à un masque yoruba, cette fois recouvert non de tissu, mais d’argent.

On note aussi de multiples références au style de Don Jazzy, son mentor, qui traversent subtilement l’album.

En clair, Rema peut être ce qu’il veut sur un album.

« H-I-M no shaking »
— March Am, Rema (2024)

Le prince de l’Afrobeats couronné à nouveau : Rema a brillé à Paris

Rema a convoqué Benin City, ses ancêtres, ses croyances, son public  dans un tourbillon de sons et de symboles. Samedi soir, à Bercy, il l’a incarné avec une intensité quasi mystique. Et le public était là, prêt  à vivre cette expérience totale. 

L’ambiance du concert ? Électrique.

Cette performance a été exceptionnelle à plus d’un titre. D’abord, par une vision artistique saisissante. Rema a fait preuve d’une authenticité radicale dans les détails ; que ce soit la musique, les visuels, les lumières ou les chorégraphies, tout participait à la même narration, celle de l’univers HEIS.  Sur le plan musical, il a proposé un renouveau du live Afrobeats, en fusionnant Afrobeats,Trap, Amapiano, Electro et Rock. Le concert dépassait le simple cadre d’un show Afrobeats, c'était vraiment la soirée de Rema, cet espace d’hybridation musicale.

En fait, ce qui rendait l’expérience si puissante, c’était la communion avec le public. Malgré la grandeur de l’Accor Arena, Rema a réussi à créer une forme d’intimité, de lien direct vibrant avec son public. Une énergie brute, viscérale, captée et renvoyée par un public en transe. Sans oublier les invités : Tiakola, Theodora Boss Lady, Ruger, Shallipopi, ODUMODUBLACK ont répondu présent pour faire trembler Bercy et rendre le moment encore plus éclatant, fort de puissance collective. 

Paris a vécu une œuvre vivante, une immersion dans un univers à la fois spirituel, émotionnel et résolument esthétique. Un grand moment, qui marque l’histoire. Ce concert, comme l’album, symbolise un basculement. Une célébration majeure de l’Afrobeats, des musiques africaines et nigérianes dans toute leur complexité, leur rayonnement, leur spiritualité et leur créativité. 

Samedi soir, il y eu de la sueur, de la transe, beaucoup de beautés mais surtout, cette sensation d’assister à un moment décisif.

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KELELA : Se rencontrer encore et encore.

Synthétique, sensuelle, spirituelle : la musique de Kelela est noire et lumineuse. Un R&B onirique, un électro transcendée par un chant soul et des textes sans détour. Aux côtés de cette merveilleuse hybridité musicale, ce qui fait aussi le charme de Kelela, c’est sa manière de repenser son propre répertoire, de redonner souffle à ses compositions.

“it never ends, it's waves rushin' in” sorbet (2023)

Spirituelle, sensuelle, sirène : la musique de Kelela est noire et lumineuse. Un R&B onirique, traversé par l’électro, le jazz, une voix soul et des textes sans fards. Au delà de cette merveilleuse hybridité sonore, ce qui fascine chez Kelela, c’est sa manière de repenser son propre répertoire, de redonner souffle et vie à ses compositions.

Dans un paysage musical où l’éphémère règne, Kelela fait partie de ces musiciennes qui façonnent et transforment leurs chansons, capables de donner plusieurs vies à une même œuvre, de l’habiter autrement, de l’étirer, la déconstruire et la reconstruire avec une vision toujours attentive.

Son art ne se fige pas : il respire, il mute, il se régénère. Dans son écosystème, ses morceaux peuvent renaître sous une nouvelle forme, apprivoiser de nouvelles couleurs, révéler des textures insoupçonnées, sans trahir leur essence.

Sa culture du remix est fraîche, engagée et reflète avec justesse la manifestation du temps qui passe, qu’elle prend et de la sagesse qui l’accompagne.

Deux ans après Raven, Kelela a dévoilé, le 11 février, In The Blue Light, un nouvel album live qui revisite ses compositions. Un chef-d’œuvre qui prouve que cette conversation entre passé et futur est au cœur de son processus créatif, faisant d’elle une artiste à part dans le paysage contemporain.


Créer, déconstruire, renaître : une signature artistique unique.

D’origine éthiopienne, Kelela Mizanekristos a grandi dans le Maryland, bercée par un mélange de musiques américaines et africaines. Chez elle, on écoutait du jazz, Burt Bacharach, Miriam Makeba, mais aussi Janet Jackson et Whitney Houston.

Au lycée, elle découvre le rock avec Björk et Pink Floyd, une révélation qui élargit son horizon musical. Elle commence en chantant dans des club de jazz puis change de direction en rejoignant le groupe de métal progressif Dizzy Spells. Quelques années plus tard, elle s’installe à Los Angeles et se rapproche de producteurs. Dès Cut 4 Me (2013), sa première mixtape, son approche singulière s’impose et on comprend à qui on a affaire : un R&B futuriste flirtant intelligemment avec l’électronique et la house. Elle perçoit déjà sa musique comme un matériau évolutif et propose une réédition, Cut 4 Me Remixes.

En 2014, elle dévoile son premier EP, Hallucinogen, qui marque un tournant. C’est à cette période que Solange Knowles la repère et l’invite à poser sa voix sur son futur classique, A Seat at the Table. Fidèle à sa démarche, Kelela offre ensuite à Hallucinogen une version revisitée : Hallucinogen Remixes. Ce projet transforme l’intimité futuriste de l’EP en une expérience plus électrique, tournée vers les clubs. Là où l’original déployait une narration émotionnelle à travers des textures éthérées, cette relecture s’aventure sur un terrain plus percussif et dansant.

Le premier album studio de Kelela, Take Me Apart, se fait attendre plus de deux ans auprès de ses admirateurs. Normal, elle est entourée de producteurs d’exception – Jam City, Arca, Romy Madley Croft et Ariel Rechtshaid et surtout elle tient à avoir le contrôle sur les quatorze morceaux du projet, dont elle est productrice exécutive. Cette exigence transparaît dans l’album : un voyage romantique aussi sensuel que cérébral, où se mêlent R&B avant-gardiste, électronique pointue et envoûtante.

Encensé par la critique, Take Me Apart déconstruit les différentes facettes du désir, des premiers frissons (LMK) de la rupture inévitable (Frontline), du don de soi (Blue Light). Entre rythmiques déstructurées et plages contemplatives, l’album se lit comme le fragment d’un journal intime et rejoint le panthéon de classiques sensuels comme The Velvet Rope de Janet Jackson, avec ses propres méditations sur l'amour et la libération.

Mais pour Kelela, une œuvre ne s’arrête jamais à son premier souffle.

En 2018, elle dévoile Take Me a_Part, the Remixes, un projet bien plus ambitieux qu’un simple album de remixes. En invitant une pléiade de producteurs et d’artistes – Kaytranada, Serpentwithfeet, Rare Essence, Gaika – elle réinvente chaque morceau, et en fait une relecture, un chapitre supplémentaire du récit initial. Take Me Apart était à la fois un aboutissement et un point de départ.

« Ce projet n’est pas juste une collection de remixes, mais une façon pour ma communauté d’artistes, producteurs et DJs de dialoguer à travers leurs différences. »
— Kelela

La scène, terrain de renaissance

Mais la réinvention chez Kelela ne se limite pas aux versions studio. Ses performances live sont une autre forme d’expérimentation. Plutôt que de reproduire ses morceaux à l’identique, elle les modifie, les façonne en fonction de l’atmosphère, du public, de son propre état d’esprit. Certaines chansons sont ralenties, d’autres accélérées, certaines deviennent plus minimales, d’autres plus éclatantes.

Lorsqu’elle monte sur scène, elle ne se contente pas d’interpréter : elle réhabite ses morceaux. Ses concerts sont une exploration, un dialogue avec son public où elle teste de nouvelles textures, de nouvelles émotions. Une chanson comme Frontline ou Rewind peut ainsi prendre une forme radicalement différente d’un show à l’autre, comme si elle cherchait sans cesse de nouvelles façons de raconter ses histoires.

Le cycle continue : Raven et RAVE:N, The Remixes

Après cinq ans de silence, Kelela revient en 2023 avec Raven, son chef-d’œuvre, qui marque un tournant encore plus affirmé dans son exploration musicale. Ici, l’électronique se fait plus radicale, la production plus immersive, le chant plus spectral. Cet album, salué pour sa cohérence et sa puissance émotionnelle, semble déjà porter en lui la promesse d’une mue. Et cette promesse se concrétise en 2024 avec RAVE:N, The Remixes, projet qui prolonge et métamorphose Raven à travers le regard d’une nouvelle génération d’artistes et de producteurs.

Comme pour Take Me Apart, Kelela ne considère pas ses albums comme des œuvres figées, mais comme des tremplins. En confiant ses morceaux à d’autres créateur·ices, elle les libère, les ouvre à d’autres lectures, à d’autres espaces, pour se rencontrer encore et encore.   

« It’s waves rushing in  »
— Sorbet, Raven

Raven est un disque profondément introspectif, où notre sirène utilise la métaphore de l’eau pour naviguer dans son personnel. L’album avance à pas feutrés et appuie là où il faut. Kelela y parle d’amour, oui, mais surtout de tout ce qui pousse à prendre ses distances : les illusions douces-amères (Happy Ending), les silences qui s’étirent, les absences qui réparent, le besoin de disparaître pour se retrouver (Missed Call, On the Run). Derrière les textures électroniques, Kelela tisse le récit d’une métamorphose intérieure, un lent processus de décomposition et de renaissance. C’est une cartographie de la fuite, du repli, de la nécessité de tracer une ligne claire entre soi et l’autre (Let It Go, Closure).

Elle n’implore pas, elle constate : l’amour n’est pas toujours suffisant (Enough for Love), et parfois, s’éloigner est le seul geste de tendresse qu’on se doit à soi-même (Far Away). L’eau revient sans cesse — celle qui nous fait flotter, celle qui emporte, qui détache, qui nettoie les cicatrices à vif (Washed Away, Raven).

C’est aussi un disque qui explore la distance sous multiples ses formes : la distance émotionnelle dans les relations, la nécessité de poser des limites pour préserver son intégrité. Kelela y exprime une tension vitale : le besoin de vulnérabilité et celui de se protéger. Une dialectique subtile, où poser des frontières devient un acte d’émancipation.

À travers des titres comme Raven, Fooley ou Bruises, elle développe une éthique de la résilience. Loin d’un repli, cette posture est une affirmation. Bien que majoritairement écrit avant les soulèvements de 2020, Raven entre avec génie en résonance avec nos mouvements actuels. Il témoigne d’une lutte antérieure, toujours actuelle : celle de revendiquer son espace, d’exister sans concession, sans se soumettre à la peur de perdre des opportunités ou une forme de sécurité.

Un an plus tard, la suite logique s’impose : RAVE:N, The Remixes.

Une relecture assumée, dont le titre à lui seul, jeu de mots entre “raven” et “raving”, annonce l’intention : retourner aux clubs, aux corps en mouvement, aux nuits longues et libératrices. Cet opus met en lumière des artistes de la scène indépendante tels que LSDXOXO, Yaeji, Shygirl, BAMBII, Liv.e, Asmara ou Mme Carrie Stacks. Vous avez maintenant cerné Kelela et comme à sa tradition, l’album ne se contente pas d’un simple relooking sonore : il réinvente Raven à travers des styles aussi variés que la house, la techno, le grime ou la drum & bass. On passe des ambiances feutrées de l’original à des versions plus frontales, incisives, taillées pour les clubs ou les introspections nocturnes en solitaire.

Le disque est un geste collectif et un hommage vibrant à la culture club, et à la place centrale qu’y occupent les corps noirs et queer ou plutôt, qu’ils devraient occuper. Raven poursuit l’exploration sonore et politique qui traverse toute l’œuvre de Kelela : une quête de guérison, de réappropriation, de liberté à travers des textures oniriques, immersives, toujours sensibles. Ce qui demeure, c’est l’intention. Une musique pensée non seulement pour faire danser, mais pour ressentir. Une musique qui existe dans la queerness, la sensualité et surtout dans la rencontre infinie.

«  Ces projets de remixes ne sont pas seulement liés à la joie et à la catharsis que j’éprouve à retourner et à réarranger. Mais aussi à la mise en lumière du travail brillant des artistes qui m’inspirent dans le domaine de la musique de club. »
— Kelela

In The Blue Light : quand le jazz allonge la mémoire

En février 2025, Kelela dévoile In The Blue Light, un album live de douze morceaux, conçu en collaboration avec le bassiste et compositeur Daniel Aged. Enregistré au mythique Blue Note de New York, ce disque radical est à la fois un hommage et une relecture.

Dès le premier titre, Enemy, extrait de Cut 4 Me, le ton est donné : la chanteuse revisite ses propres compositions dans une ambiance feutrée, jazzy, plus introspective que d’habitude. Entre les lignes, c’est une lettre d’amour adressée à ses influences musicales, à ses fans, et à son propre parcours.

Kelela se débarrasse de la batterie et des effets sonores caractéristiques de son travail en studio pour faire découvrir à ses fans une autre facette de son art.

Entre les prises de paroles de Kelela et ses interprétations, on y retrouve des morceaux cultes (Waitin’, Rewind) mais aussi une reprise vibrante de Joni Mitchell, Furry Sings the Blues. Ici, la voix de Kelela se fait grâce, elle glisse du gris brumeux au bleu nuit,  comme on trace un chemin dans l’ombre. L’électronique est toujours là, mais elle cohabite plus discrète au contact du jazz.

Bien qu'elle ait toujours offert des performances vocales puissantes, Kelela place sa voix au cœur de l'album, exigeant une attention nouvelle de la part des auditeurs. Elle se produit aux côtés d'un groupe live composé de basse, batterie, harpe, piano et chœurs, qui livre des performances tantôt sensibles, tantôt dominantes. Le résultat est complexe et dense, tout en restant aérien grâce à la touche douce de Kelela. Sous la superbe direction de l’ingénieure du son Gloria Kaba, la harpe est nette et légère, tandis que les claviers et la basse sonnent d'une douceur veloutée. La qualité de l'enregistrement donne au public l'impression d'être présent dans le club.

Tout concourt à une expérience onirique et maîtrisée, un équilibre minimaliste entre fragilité et puissance. Kelela expose l’essence de ses chansons, leur fragilité, leur puissance intrinsèque. “Take Me Apart“, “Blue Light” ou “Better” résonnent ici comme des ballades intemporelles, portées par une interprétation habitée, presque mystique

« It’s a twisted circle you confuse with Love »
— Cherry Coffee, Cut 4 Me (2013)

La douleur des anciens morceaux parait apaisée, cicatrisée par la sagesse du jazz. Car c’est bien connu, le jazz est un baume, il apporte maturation, quiétude et ici on le ressent

Ce projet appuie de nouveau sur la versatilité de Kelela qui prouve qu’elle peut modeler et ré-imnaginer le R&B à sa guise, passant du club au minimalisme sans jamais perdre son essence. En se confrontant à l’épreuve du dépouillement, elle affirme encore un peu plus ce que son public savait déjà : elle est une voix, dans tous les sens du terme. Un moment suspendu, une performance qui prouve que le futur du R&B passe aussi par ses racines.

Pourquoi cette démarche est-elle si rare et si précieuse ?

Notre industrie musicale est obsédée par la rapidité, la rentabilité et le formatage, rares sont les artistes qui osent ralentir, prendre le temps de réimaginer, de revenir, et réhabiter leurs propres œuvres. Dans ce monde pressé, Kelela a l’air de choisir la patience, l’intention, la réinvention.  Quand on écoute toute la discographie de Kelela, une chose est sûre et assez magique, c’est qu’elle fige et fait vibrer le temps. Oui, sa musique nous fait ressentir les deux. Kelela fait vibrer le temps, le distille, le refait. Ses morceaux s’invitent dans d’autres dimensions, de nouvelles catharsis qui se redéfinissent à chaque rencontre.  

Kelela construit un répertoire qui se déplie dans le temps, respire autrement entre les corps, sur les scènes, dans les clubs, dans la chambre, dans la voiture, à la mer ou à la lumière d’une relecture jazz.  Ce n’est ni nostalgie, ni stratégie, mais une manière instinctive de rester au plus près de ce qui bouge, de ce qui vibre. La répétition devient révélation, la variation en vérité nouvelle. Elle revient. Encore et autrement. Et c’est peut-être là, dans cette obsession de la quête vivante et infinie, que se cache la forme la plus radicale de fidélité à soi.

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